Municipio Autónomo de San Juan Copala

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viernes, 4 de junio de 2010

Copala : le paradoxe du menteur où s’enferme un gouvernement


Le 27 avril 2010, une caravane humanitaire composée de 27 activistes civiques mexicains et étrangers occupant une demi-douzaine de véhicules fut sauvagement attaquée par un commando de « paramilitaires ». Ces femmes et ces hommes courageux étaient en route pour San Juan Copala. Leur intention était de briser l’encerclement illégal que souffre ce village depuis plusieurs mois, de lui fournir des vivres et des médicaments. Un maître d’école versé dans la langue indigène était prêt à s’occuper de l’école. Des vigilants civiques originaires de divers pays étaient disposés à rendre témoignage. Deux membres de la caravane, la mexicaine Beatriz Cariño et le finlandais Jyry Jaakkola furent tués de balles dans la tête et dix autres membres de la caravane furent blessés. Selon les témoins survivants, l’embuscade commença par des rafales à distance qui incitèrent les activistes civiques à se coller au plancher des véhicules. Les tireurs se rapprochant et l’intensité du tir augmentant, la plupart sortirent des véhicules et se mirent à courir vers un couvert d’arbustes. Beaucoup furent atteints par les balles alors qu’ils couraient. Incapable de courir, une participante se réfugia dans un repli de terrain d’où elle observa l’arrivée des assaillants. Il s’agissait de vingt hommes au visage couvert, apparemment âgés de vingt ans ou moins. Ils rassemblèrent les fuyards, les menacèrent de les exécuter puis les « gracièrent » avec menaces de mort en cas de récidive. Certains membres de la caravane ne furent libérés que plusieurs jours plus tard.

Voilà la nouvelle qui fit le tour des salles de rédaction internationales à la fin du mois d’avril. Les lignes qui suivent, envoyées par un citoyen mexicain, ne prétendent être qu’une petite mise en contexte.

En décembre 2007, s’appuyant sur une récente déclaration des Nations-Unies - officiellement entérinée par l’État mexicain - promouvant l’autonomie locale des peuples indigènes, le village de San Juan Copala s’est déclaré « municipio autónomo ». Or, Copala n’est pas officiellement une municipalité, mais une « agence » du chef-lieu, la municipalité de Santiago Juxtlahuaca. Depuis près d’un an, en réponse à cette proclamation d’autonomie, Copala vit en état de siège.

San Juan Copala est un village de l’ethnie triqui comptant un peu plus de 750 habitants, dont tous parlent leur langue originale, une variante du groupe mixtèque avec lequel toute compréhension mutuelle s’est rompue depuis 1000 ou 2000 ans. Les vieux sont en général monolingues, en revanche, tous les enfants en âge de scolarité et les adultes de moins de soixante ans parlent l’espagnol comme leur seconde langue.

L’état de siège est maintenu par des membres de l’Unidad para el Bienestar Social de la Región Triqui (UBISORT). Depuis six mois, ils se relèvent pour occuper des positions de francs-tireurs sur les hauteurs entourant le village. Comme autrefois les tireurs d’élite autour de Sarajevo, ils tirent sur quiconque s’aventure dans les rues, de sorte que, de jour, les habitants de Copala vivent terrés dans leurs maisons. Seuls des poulets et des chiens circulent dans les rues du village. Les assiégeants ne sont ni des agents du gouvernement de l’État de Oaxaca, ni des soldats, c’est-à-dire des représentants du gouvernement fédéral. Ils sont ce que l’on appelle des « paramilitaires », c’est-à-dire des mercenaires à la solde de pouvoirs non-identifiés (officiellement s’entend). Le leader d’UBISORT est un certain Anastasio Juarez, qui se pique de donner à l’occasion son « autorisation » à des groupes humanitaires et de vigilance civile de se rendre au village. Généralement, il les abandonne bien avant Copala. Les policiers de l’État de Oaxaca refusent de patrouiller dans la région sans « autorisation » d’UBISORT, qui, en l’occurrence, exerce de fait les pouvoirs d’une mafia « protectrice ».

Sommé d’intervenir pour garantir la liberté de circulation sur les routes nationales, le gouverneur de Oaxaca, M. Ulises Ruiz, se cache derrière l’argument que la région mixtèque est rendue dangereuse par les « luttes intestines » du peuple triqui. Un de ses larbins, le Sénateur Carlos Jimenez Macias, précise ainsi la pensée officielle : «Ceux qui organisent des caravanes avec des étrangers, voilà les véritables assassins… Si tu diriges des gens vers une embuscade, es-tu ou non responsable de ce qui va leur arriver ? Les coupables sont ceux qui les ont amenés là » (La Jornada, 31.05.10, p. 24). Moralité : il ne faut pas prétendre introduire aide humanitaire ou témoins civiques dans une zone dangereuse. Mais en l’absence de vigilants extérieurs, Copala peut subir le sort du village d’Acteal, dans le Chiapas, dont une cinquantaine d’habitants furent assassinés par d’autres paramilitaires il y a une douzaine d’années.

Le qualificatif de « région dangereuse » n’a aucun correspondant politico-légal. Ce n’est qu’un argument servant à justifier la « passivité » des pouvoirs d’État et à disqualifier, comme le Gouverneur ne cesse de le faire, les « étrangers aux cheveux longs et aux yeux bleus », qui, ajoute-t-il, devraient être mis à la question « sur les raisons qui les poussent à se rendre dans une région dangereuse ». De là à supputer qu’ils se livrent au trafic d’armes, ou de drogues, ou de n’importe quoi, il n’y a qu’un pas.

Les paramilitaires d’UBISORT sont équipés d’armes de gros calibre et de longue portée, de véhicules, de systèmes de communication, bref, de tout ce qu’il faut pour constituer une armée. Une armée illégale, dont l’existence est officiellement niée. La question à laquelle la société mexicaine aimerait soumettre M. le Gouverneur est « qui arme, qui finance cette ‘armée’ qui n’est est pas une? » Il y a de fortes chances que ce soit le gouvernement de l’État de Oaxaca, mais le dire sans preuves peut s’avérer contre-productif au moment d’exiger du même gouvernement qu’il garantisse la sécurité d’une autre caravane humanitaire, qui doit partir de Mexico le 7 juin pour arriver à Copala le jour suivant. Cette deuxième caravane est convoquée par l’organisation Voces Oaxaqueñas Construyendo Autonomía y Libertad (VOCAL).

Le 20 mai dernier, en plein jour, un véhicule s’arrêta devant une maison située au centre du village. Quatre hommes armés, de traits caucasiens (non-indigènes), en sortir

et criblèrent de balles les propriétaires de la maison, Timoteo Alejandro Ramirez et son épouse, Cleriberta Castro qui moururent sur-le-champ. M. Ramirez était membre fondateur du Movimiento para la Unidad y la Libertad Triqui (MULT) et, en l’absence de pouvoirs politiques officiels, le leader naturel de la communauté triqui de Copala. Selon un communiqué publié par le MULT après ce nouvel assassinat, les événements violents qui désolent Copala et sa région depuis bientôt une année sont une conséquence de la rupture de l’alliance entre l’UBISORT et le MULT, alliance célébrée en 2007 en faveur du projet alors commun de municipalité autonome. Toutefois, il serait erroné de mettre ces deux organisations sur un même plan. L’UBISORT est une organisation armée et fortement financée par des non-indigènes qui, de plus, se manifestent au cours des actes de violence. Le MULT est un groupe avant tout local, pauvre, indigène que seule sa détresse pousse à demander l’aide d’activistes extérieurs et d’observateurs étrangers. Quant à l’UBISORT, elle n’hésite pas à déclarer, par la voix de ses dirigeants,
que le territoire triqui est divisé entre zones « MULT» et zones « UBISORT » de poids comparables. En fait de zone « MULT », il n’y a que le village de 780 habitants de Copala, entièrement entouré par les forces d’UBISORT, assiégé et affamé par elles.

Ceci repose la question lancinante de qui arme et finance cette armée de mercenaires ? Les analystes de la politique interne mexicaine insistent sur le fait que cette question doit être posée dans le cadre de l’actuelle campagne électorale et que la question devient « qui a avantage à éliminer un groupe de citoyens qui ont déclaré que les gens ordinaires sont parfaitement capables de s’autogouverner » ? Sans ingérence, surtout, de ces pouvoirs extérieurs que représentent les partis.

La légiste Magdalena Lopez vient d’écrire dans la Jornada : « Combien de crimes faudra-t-il encore supporter avant que le gouvernement ne retire les paramilitaitres et ne les soumettent à jugement ? » Les étrangers disposés à faire pression sur le gouvernement mexicain doivent savoir que soumettre les assassins paramilitaires à jugement ferait immédiatement s’effondrer la thèse selon laquelle, selon un porte-parole du gouvernement, J.M. Gómez Robledo : « Jusqu’à présent, aucune participation d’agents d’État n’a été identifiée ». Le gouvernement, qui prétend vouloir faire toute la lumière sur ces événements, s’est lui-même enfermé dans le paradoxe du menteur : s’il dit la vérité sur ses intentions, il est condamné à démontrer qu’il ment.

Sur ce, le groupe VOCAL continue de préparer la nouvelle caravane qui doit arriver à Copala mardi prochain, 8 juin, avec un chargement de vivres, de médicaments, d’habits, de couvertures, de livres aussi. Gustavo Esteva écrit des valeureux d’ores et déjà inscrits: « Ils sont conscients du danger, mais ils font la sourde oreille aux avertissements de ceux qui, par la faim et la peur, prétendent soumettre qui veut pratiquer l’autonomie. Ils ne savent que trop que leur nombre – supérieur à celui des membres de la première caravane – ne constitue pas une protection parce que les gens au pouvoir, quand ils se sentent mis en question, peuvent concevoir des atrocités pires encore que celles qu’ils ont déjà commises. Ils pourraient provoquer un massacre dans le seul but d’intimider les citoyens. Ils imaginent peut-être qu’une brutalité sans précédant pourrait, lors des prochaines élection, favoriser le vote de la peur sur lequel ils ont fait un pari, voire justifier la nullification des élections, éventualité qui, plus que toute autre, contribuerait à les maintenir au pouvoir ».

De nombreux Triquis de la diaspora étaient présents aux récentes protestations devant l’ambassade israélienne de Mexico, contre l’assassinat de 19 autres activistes de la paix au large de Gaza. S’ils ont tenu à signer un communiqué particulier, c’est qu’ils sentent bien ce qui relie le crime contre la Flotille de la Liberté et celui dont furent victime les membres de la caravane en route vers leur village. À Gaza et à Copala, même guerre contre la subsistance de citoyens assiégés et mêmes mensonges pour la justifier. Prenons garde : Copala et Gaza sont des préfigurations de ce qui pourra bientôt nous atteindre. Le citoyen des états modernes ne ressemble-t-il pas à ce client généralisé qui, selon Giorgio Agamben, « exécute avec zèle tout ce qu’on lui dit de faire et qui ne s’oppose pas à ce que ses gestes le plus quotidiens, ceux qui concernent sa santé, ses possibilités d’évasion comme ses activités, son alimentation comme ses désirs soient commandés et contrôlés par des dispositifs jusque dans les détails les plus intimes » ? (Qu’est-ce qu’un dispositif ? Paris : Payot-Rivages, 2007). Dans un ouvrage antérieur (Homo sacer. 1. Le pouvoir et la vie nue, Paris : Seuil 1997), Agamben avait comparé ce citoyen à cet « homme sacré » qui, selon le droit romain, ne pouvait être mis à mort par la république, mais dont le meurtrier éventuel jouirait d’impunité. L’impunité dont jouissent non seulement les soldats israéliens, mais les non-soldats, ces mercenaires à la solde d’innommables pouvoirs de fait, dans la lointaine région triqui.

Tinu Jei

(alias j.r.)

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